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L’ ALECA au temps du Coronavirus : Un typhon qui menace la Tunisie

L’ ALECA au temps du Coronavirus : Un typhon qui menace la Tunisie

Ezzeddine BEN HAMIDA

Imaginez, en ces temps tragiques, une firme multinationale traîner la Tunisie en justice car l’orientation de la politique économique et sociale aurait pour effet d’amoindrir ses profits ? Si invraisemblable qu’il paraisse, ce scénario figure en toute lettre dans le projet de texte, de juillet 2018, proposé par l’UE aux négociateurs tunisiens à propos du chapitre sur le «Règlement des différends en matière d’investissement et système juridictionnel des investissements».

1/ Que dit le mandat ?

Selon le mandant des fonctionnaires de la Commission européenne, l’accord doit « fournir le plus haut niveau possible de protection juridique et de garantie pour les investisseurs européens en Tunisie ». En clair, permettre aux entreprises privées, indépendamment des crises économiques et sanitaires comme celle que nous traversons, d’attaquer les législations et les réglementations, quand elles considèrent que celles-ci représentent des obstacles à la concurrence, à l’accès aux marchés publics ou à l’investissement.

Pis, les obligations de l’Accord engageront tous les niveaux de gouvernement. Il s’appliquerait donc non seulement à l’Etat central tunisien, mais aussi à toutes les collectivités publiques : régions, gouvernorats, municipalités, etc. Une réglementation municipale pourrait être attaquée non plus devant un tribunal administratif tunisien, mais devant un groupe d’arbitrage privé international (article 9). Il suffirait pour cela qu’elle soit perçue par un investisseur européen comme une limitation à son droit d’investir ce qu’il veut, où il veut, quand il veut, comme il veut et d’en tirer le bénéficie qu’il veut !

2/ Avons-nous retenu les leçons de notre histoire ?

Aussi incroyable, la copie ne soulève aucune vague de protestation de nos responsables et dirigeants politiques ! Pourtant, à cause de ce type de clause, le souvenir du fiasco que le gouvernement a subi récemment dans l’affaire de la banque Tuniso-française est encore vif dans notre mémoire collective. Ce déplorable, lamentable et pitoyable, dossier est sensé nous rappeler que certaines clauses de Traités internationaux sont loin sans danger, n’est-ce pas ? En vain!

Le scandale du contrat signé par Yacine Brahim avec la banque française Lazard, un autre exemple d’Accords qui aurait pu, en cas de litige, causer pour la Tunisie des ennuis juridiques. Il s’agit en effet d’une banque connue par ses méthodes controversées : l’ouvrage de Martine orange, journaliste, dont le titre ne laisse l’ombre d’un doute sur les façons assez « lousardes » de cette banque : « Ces messieurs de Lazard » (éd. Albin Michel, 2006)

Le Pacte fondamental de 1857, ayant préparé pernicieusement l’occupation de 1881, contenait déjà ce type de clauses : l’article 1, 2, 6, 7, 9, 10 et 11 :

– La sécurité des personnes et des biens (art.1) ;
– L’égalité de traitement en matière fiscale (art.2) ;
– L’association d’un représentant des non musulmans à toutes juridictions jugeant au non musulmans (art.6)
– L’institution d’un tribunal de commerce avec participation des étrangers selon des accords à conclure (art.7)
– La liberté du commerce (art.9)
– La liberté pour tout étranger de pratiquer tout métier à condition de respecter les lois du pays (art.10)
– La liberté pour tout étrangers s’installant dans le pays de posséder tous fonds de maison, verger, terrain à condition de respecter les lois en vigueur (art.11) »

[1] http://www.aleca.tn//wp- content/uploads/2018/08/texte%20R%C3%A8glement%20des%20diff%C3%A9rends%20investissement.pdf

3/ Des tribunaux pour détrousser les Etats :

L’Egypte, en 2011 suite à la révolution, a dû céder devant la pression populaire et augmenter le salaire minimum de 400 à 700 livres par mois (de 41 à 72 euros) ; une augmentation qui lui a causé des ennuis judiciaires avec le groupe français Veolia. Celui-ci a jugé inacceptable une telle hausse ; il a porté plainte contre l’Egypte auprès du Centre international pour le règlement des différents relatifs aux investissements (Cirdi), une officine de la Banque mondiale. Le motif évoqué consiste dans le fait qu’une telle hausse –qui est une loi décidée par un parlement souverain!- contreviendrait aux engagements pris dans le cadre du partenariat public-privé signé avec la ville d’Alexandrie pour le traitement des déchets.
En 2004, le groupe américain Cargill a, par exemple, fait payer 90,7 millions de dollars (66 millions d’euros) au Mexique, reconnu coupable d’avoir créé une nouvelle taxe sur les sodas. En 2010, la Tamps Electric a obtenu 25 millions de dollars du Guatemala en s’attaquant à une loi plafonnant les tarifs de l’électricité. En 2012, Sri Lanka a été condamné à verser 60 millions de dollars à la Deutsche Bank en raison de la modification d’un contrat pétrolier. Etc.

[1] Voir notre contribution à ce propos disponible sur le site Leaders.com : http://www.leaders.com.tn/article/19518-l-aleca-serait-elle-le-pacte-fondamental-de-1857-dans-sa-version-plus-moderne

Ce que nous demandons :

Ce type de clause est une épée de Damoclès sur notre souveraineté. aussi, la présence de Lobna JRIBI au gouvernement Fakhfakh a pour but premier d’avaliser ce funeste Accord. L’Etat tunisien ne doit en cas céder à cet ignoble chantage des responsables européens et plus singulièrement français. Notre histoire et celles d’autres nations nous enseignent suffisamment sur les graves et certains dangers encourus par ces anciennes-nouvelles clauses néocoloniales!
D’ailleurs, très fortement secouée par la pandémie, l’Europe traverse une crise existentielle qui l’a placée au bord du gouffre. Les Vingt-Sept se sont séparés le 26 mars après un Conseil européen houleux sur un profond désaccord concernant les coronabonds, cette proposition, française de prise en charge financière commune des conséquences économiques. L’Allemagne a opposé un niet définitif à cette fâcheuse tendance de la France de vouloir toujours partager les pertes tout en s’accaparant, pour elle seule, les bénéfices. Pis, aujourd’hui, l’Italie menace de quitter l’UE et la Pologne organise méthodiquement son retrait.

Autre chose et pas la moindre : la libre circulation des personnes physiques entre les deux rives est notre condition sine qua non au tout préalable de négociation :

François Hollande, lors de son discours du jeudi 7 octobre 2016 à la fondation Jacques Delors, était revenu sur la négociation des conditions de sortie de la Grande Bretagne de l’UE suite au résultat du referendum, il disait « Aujourd’hui, la GB veut partir mais ne voudrait rien payer. Ce n’est pas possible. (…) Et bien il faut aller jusqu’au bout de la volonté des Britanniques de sortir de l’Union européenne. Nous devons avoir cette fermeté. La fermeté c’est en fait l’assurance que l’Europe pourra préserver ses principes et notamment ses quatre libertés. » avant d’ajouter « il viendra à l’esprit d’autres pays ou d’autres partis de vouloir sortir de l’Union européenne pour en avoir les avantages supposés et aucun inconvénient ni aucune règle ». « Il n’y a pas de libre circulation des personnes sans les autres libertés. » a-t-il soutenu.

Nonobstant, dans la droite ligne Hollandienne, nous soutenons aussi que les quatre libertés sont indissociables : il ne peut y avoir la libre circulation des biens, des services et des capitaux sans la libre circulation des personnes ! C’est un non-sens affligeant, méprisable et détestable.

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